Najman fondateur du CRIF, Edelman libérateur de Varsovie, le Bund antisioniste
- contrediremedia
- 13 avr.
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Dernière mise à jour : 14 avr.
Il est tentant de gommer de la mémoire collective les héros des libérations des camps de concentration, des ghettos, quand leurs profils ne correspondent pas vraiment aux propagandes du moment.
Une grande part des groupes politiques juifs en Europe fut antisioniste, dont le plus important a été le Bund. L'immigration juive européenne paraît extrêmement tardive, le projet sioniste n'intéresse pas tant la communauté juive européenne à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. La prolifération de l'antisémitisme aura raison de ces considérations, tout comme l'anéantissement par les nazis des partis juifs majeurs de la politique européenne.
Cette opposition au sionisme est un refus fondé sur le rejet d'un projet que beaucoup jugent colonial, problématique en son fondement. Ils constatent que des individus antisémites, comme le ministre britannique Balfour, y perçoivent l'opportunité de se débarrasser des personnes juives. Sauf que l'Europe est leur foyer, celui de la création d'une culture juive européenne, d'une langue yiddish. Par ailleurs, les plus considérables persécuteurs des juifs semblent les Européens ; il apparaît déconcertant d'aller s'en prendre aux Arabes, eux-mêmes soumis au colonialisme occidental.
En effet, Marek Edelman a bien existé, ses combats ont existé. Il faut reparler d'Edelman, au moment même où Israël perpétue les violences qu'il a toujours dénoncées, où certains instrumentalisent l'antisémitisme, une discrimination qui perdure encore, mais dont ils se moquent en réalité. Il a été un des principaux dirigeants du soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943. Il était membre du Bund (Parti socialiste juif), et a été fermement antisioniste toute son existence, comme beaucoup de ses camarades.
Fondé en septembre 1897, le Bund défendait la laïcité, la lutte des classes, le combat contre l'antisémitisme et la langue yiddish. Il a eu beaucoup d'adversaires, autant ceux qui lui ont semblé dévoyer le socialisme (Staline) que les sionistes ou les religieux extrémistes.
Anna Rozental symbolise ce Bund chassé par tout le monde, notamment au vu de sa montée en puissance. Elle fut une dirigeante du Bund (secrétaire du comité central en 1917, présidente de l'organisation de Vilna en 1922, ensuite membre du comité central du parti à Varsovie). En 1938, elle est élue au conseil municipal de Vilnius. Sous sa direction, le Bund forme alors le groupe le plus important du conseil. Son appartement devient une plaque tournante pour les activités du Bund, ainsi qu'un lieu de refuge pour les militants fuyant la zone occupée par l'Allemagne. Elle a vaguement eu un intérêt pour le sionisme au cœur de sa jeunesse, avant de rejoindre le Bund. La résistante est tuée par les services secrets de l'URSS.
Bernard Goldstein incarne ce Bund assumant d'être antitsariste, antisioniste, antistalinien, d'être l'ennemi de tous ceux qui rêvent de domination, autrement dit le « Yiddishland révolutionnaire ». Il a organisé l'autodéfense juive face à l'antisémitisme et toutes les formes de haine. Son apport a été décisif dans les activités de contrebande, afin de saper l'influence des nazis en Pologne. Il a pris part au soulèvement de 1943 et l'insurrection de 1944. Dans ses Mémoires, il livre un profond combat pour la dignité humaine, faisant aussi de lui un antisioniste convaincu.
Telle Rozental, Louis-Lazare Zamenhof est un sioniste « repenti ». Il n'a pas adhéré à la vision coloniale d'Herzl et a refusé de se rendre au 1er Congrès sioniste (1897). Le médecin aspirait à la fraternisation entre les peuples en proposant l’espéranto, une langue commune. Face à l'avènement des nationalismes destructeurs en Europe, il y répondait par la revendication d'une commune humanité, de ce qui rassemble tous les humains, du respect des différences, sans que cela ne porte atteinte à l'autre. Avant d'être une nationalité, un peuple construit, une religion, avant de s'opposer sur tous ses points, nous serions des humains, des frères et des sœurs semblables.
Faisons un détour en France, les fondateurs antisionistes du CRIF ont fait la résistance. Au vu des trahisons de la droite contre le Consistoire central israélite de France et l'unification d'une résistance juive, le CRIF a été créé. Façonné par Napoléon, le Consistoire central israélite de France a longtemps porté une politique dite assimilationniste. Cela l'a conduit à être proche d'Edmond Bloch, fondateur de l’Union patriotique des Français israélites, proche des antisémites Xavier Vallat et de Charles Maurras. Ce soutien à la droite du Consistoire central israélite de France a été un mur, cette droite parlementaire était dominée par les antisémites. Son président Jacques Helbronner (1940 à 1943) a cru aux mensonges de son ami Pétain, il a fini tristement déporté.
Quand Léon Meiss est arrivé à la tête d'un Consistoire central israélite de France clandestin, les alliés historiques de droite avaient trahi. Il fallait se tourner vers ce qui composait la résistance, les communistes et les bundistes. Certains proclament aujourd'hui que les antisionistes de Tsedek et l'UJFP sont des antisémites, des "faux juifs". Ces listes sont faites par le Betar, par les héritiers de l'Irgoun et du Lehi (Likoud), des groupes qui furent proche de Mussolini et du fascisme européen (dénoncés par Einstein et Arendt), et désormais de Bardella, Orban et Le Pen.
L'UJFP a notamment été fondé par l'antisioniste Richard Wagman en 1994. Il est issu d'une famille antifasciste, qui a fui les persécutions antisémites quelques années avant la prise du pouvoir par Hitler en Allemagne. Le reste de sa famille a été exterminé à Auschwitz.
Dans la clandestinité, le Comité général de défense juive a été fondé en juillet 1943. La création du CRIF lui a succédé en 1944. Lors de la fondation du CRIF, les militants bundistes sont la troisième force politique la plus importante au sein de la communauté juive en France, avec les communistes et les sionistes (divisés en plusieurs courants). Chil Najman (ou Yehezkel Naiman) était un des principaux dirigeants du Bund en France, fermement antisioniste. Il a été un des fondateurs du CRIF, comme tant d'autres bundistes, majoritairement immigrés et largement méconnus. Najman s'oppose avec une grande virulence à la création d'Israël dans un article de 1946. Il craint d'ailleurs les conséquences tragiques d'un tel projet, la Nakba à venir. Le Bund a toujours dénoncé le colonialisme, notamment celui qui a tenté de libérer du ghetto de Varsovie, Edelman. La lutte antisioniste est aussi leur héritage, celui de ses résistants, ses génocidés, ses survivants. C'est aussi l'héritage du CRIF.
Afin de revenir à Edelman, il a été un des fondateurs de l'Organisation juive de combat, réunissant tous les groupes juifs de résistance. Du 19 avril au 16 mai 1943, il a participé à l'état-major qui conduit au soulèvement du ghetto de Varsovie. La brutalité de l'armée allemande était innommable, elle a brûlé vif des milliers de personnes et anéanti la rébellion. Toutefois, les nazis seront surpris par l'ampleur de cette révolte. Cela a constitué une bataille qui a préfiguré l'insurrection de Varsovie en 1944, à laquelle Edelman prendra évidemment part, alors un des derniers survivants de l'état-major de l'Organisation juive de combat. Les nazis ont massivement massacré les membres du Bund, qui constituaient l'un des groupes politiques juifs les plus puissants d'Europe. Marek Edelman a été un des ultimes survivants, telle sa femme Alina Margolis-Edelman, qui a dévoué le reste de son existence aux droits humains, en tant que cofondatrice de Médecins du monde et militante syndicale.
Jusqu'à son trépas, Edelman a critiqué de toutes ses forces les dérives d'Israël : « Votre philosophie d’Israélienne, celle qui consiste à penser qu’on peut tuer vingt Arabes pourvu qu’un Juif reste en vie. Chez moi, il n’y a de place ni pour un peuple élu ni pour une Terre promise. ». Edelman ne supportait pas qu'on utilise la mémoire de tous ses amis, ses frères, ses sœurs tombés au cœur des camps, afin de justifier tout ce que peut entreprendre Israël. Il a vécu cela comme un reniement de « cette immense culture juive multiséculaire », et cela au service des religieux les plus extrémistes, d'une idéologie coloniale. Edelman considèrait que la fondation d'Israël n'était qu'un beau mythe des Occidentaux : « Si Israël a été créé, c’est grâce à un accord passé entre la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’URSS. Pas pour expier les 6 millions de Juifs assassinés en Europe, mais pour se partager des comptoirs au Moyen-Orient. ».
Il regrettait que les Arabes, les anciennes colonies doivent éternellement payer les conséquences des actes des colons Européens, et il rétorquait agacé : « Il eût mieux valu créer un État juif en Bavière ! ». Il ajoutait : « La culture juive, ce n'est pas la culture israélienne ! ». Edelman ne disait pas le centième de ce qui choque les médias, le débat public occidental de nos jours, mais qui en parlera ?
Israël et les Occidentaux ont contribué à éteindre la mémoire d'Edelman, hormis quelques distinctions lointaines. Il est vrai que le combattant ne se percevait pas en héros, ne voulait pas être le jouet des capitalistes, et renvoyait à ses amis morts au Front.
Toujours ancré dans ses idées socialistes, de justice, il combattra les nazis, les faussaires de Marx, les sionistes, les antisémites, les racistes.
Il laisse ce mot pour les nouvelles générations : « Dans les écoles maternelles, dans les lycées, dans les universités, nous devons enseigner que le mal reste le mal, que la haine, c'est le mal et que l'amour est un devoir... Il est plus aisé d'éveiller la haine que l'amour de l'humanité. La haine est facile. L'amour exige des efforts et des sacrifices... il faut de nouveau la former cette jeunesse, lui apprendre que ce qui est sacré c'est la vie humaine, que le confort passe après ».
Dans les dernières années de sa vie, il prévient et plus que jamais à l'heure d'un génocide, du retour du fascisme, nous devons observer la gravité de ses mots : « L'Europe se comporte comme ce promeneur du dimanche qui faisait du manège près du mur du ghetto alors que, de l'autre côté, des gens mouraient dans les flammes. Indifférence et crime ne font qu'un. ».
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