Les obsessions d'un rapport contradictoire sur les Frères musulmans
- contrediremedia
- 23 mai
- 7 min de lecture
Le rapport sur Les Frères musulmans et l'islamisme politique est plein de contradictions, d'un refus des nuances et manque de rigueur. Il est certes obligé d'admettre qu'il n'y a pratiquement pas de liens entre la "mouvance frériste" et le militantisme intersectionnel (woke). Or, son caractère obsessionnel voire complotiste est inquiétant.
Le rapport s'attaque à "l'islamophobie victimaire", met en exergue un terme intrinsèquement lié aux Frères musulmans. Il faut attendre 20 pages pour voir apparaître l'Histoire de ce terme, utilisé bien avant la création des Frères musulmans en 1928. Ainsi, il établit tardivement le recours historique au terme islamophobie : "islamophobie de gouvernement, renvoyant à un traitement différencié des musulmans dans l'administration coloniale, et islamophobie savante qui désigne un préjugé contre l'islam". Il ne s'attarde évidemment pas sur ce sujet, ni sur des auteurs, comme Quellien.
C'est une hypocrisie de ce rapport, ne jamais s'attarder sur ce qui pourrait contredire les objectifs idéologiques d'un Retailleau. Il évoque deux rapports au Royaume-Uni (2014 et 2016), deux rapports qui s'opposent, mais il en choisit un plutôt que l'autre sans véritablement expliquer pourquoi. Aux ultimes pages du rapport, une explication brève et peu convaincante est donnée sur la raison de la contradiction entre les rapports de 2014 et 2016 au Royaume-Uni, au sujet de l'islamisme politique. Celui de 2014 a été un "état des lieux dressé à un instant précis puis se périme". Mais encore ?
Cela ne va pas empêcher la droite de reprendre à son compte ce rapport contesté du Royaume-Uni en 2014, notamment Le Figaro. Le rapport ne prend aucune distance sur la politique de David Cameron, qui a volontairement confondu lutte contre l'immigration et "lutte contre l'islamisme". Par exemple, David Cameron a fait de l'absence de maîtrise de l'anglais un indicateur pour identifier une personne islamiste et terroriste. Cette perspective a été largement battue en brèche depuis longtemps maintenant.De plus, à la même période, le rapport n'évoque pas les prises de distance avec une conception française de la laïcité de Cameron. Il dit : "l’approche française d’opter pour une interdiction générale d’un type de vêtement... Je ne crois pas que cela nous aiderait."
L'exemple est même pris du chancelier d'extrême droite Kurz (ayant gouverné avec un parti fondé par des nazis), et ses politiques destinées au "combat contre l'islamisme". Il n'y a pas un mot sur ses liens considérables avec des groupes extrémistes chrétiens, ni sur tous les scandales révélant l'homophobie, l'islamophobie et le racisme de ses alliés, ni sa proximité avec Orban qui s'en prend au "lobby LGBT". Étonnant pour un rapport qui fonde ses prétentions sur le danger pour les droits des femmes et des "LGBT" de la "mouvance frériste".
Le rapport reproche aux Frères musulmans des positions conservatrices voire réactionnaires sur les droits des femmes ou "LGBT". Ce sont les mêmes que l'Église catholique, de nombreux rabbins, évangélistes, sans jamais que le parallèle évident soit fait. Les Papes successifs parlent de l'avortement comme "d'un assassinat", de l'homosexualité comme "d'une maladie", "déviance", "mal". Tous les responsables religieux catholiques que Macron et Retailleau rencontrent, sont soumis à la hiérarchie de l'Église catholique, au Pape. Ce rapport s'inquiète de l'organisation genrée et pyramidale des Frères musulmans, en admettant que des femmes accèdent à des fausses responsabilités. Il y a une autre organisation où les femmes sont exclues des plus hauts postes, dominé par des hommes souvent réactionnaires, c'est encore l'Église catholique.
Son rappel historique souligne bien la diversité de penseurs, de dirigeants de la "mouvance frériste", de figures, selon les pays, les partis et les contextes, les distances prises des uns par rapport aux autres. Il va quand-même traiter le sujet comme un ensemble homogène avec bien peu de nuances. Dès lors, l'objectif idéologique du rapport va au-delà de toutes les autres considérations, il faut conforter un danger séparatiste, et tant de mots qui font peur en iste. Il y a la justification incessante du bien-fondé de toutes les lois votées, sans citer aucune évaluation, études de ces dernières.
Ce rapport prétend qu'une percée de "mouvement frériste" est possible aux municipales, mais inexistante au niveau national. Cela peut mettre en danger les droits des femmes et les droits "LGBT" (il faudrait déjà ne pas oublier le Q et le +, ce que rapport fait encore et encore, très inclusif tout cela). Le "mouvement frériste" porterait donc un projet municipal sexiste et homophobe, soit admettons, mais ce sont des élus LR et RN qui coupent les subventions aux associations, empêchent la tenue d'évènements. Il est possible de citer la LR Garnier, ami de Retailleau, tout comme la sphère De Villiers, autre ami de Retailleau. En 2016, Garnier avait suspendu une demande de subvention d’un festival de cinéma LGBTQ+ à Nantes (Loire-Atlantique). Elle soutient aussi les thérapies de conversion. Ici, il est question de décisions concrètes sans dissimulation, et que fait le gouvernement de Macron à ce sujet ? Il a nommé Garnier au précédent gouvernement, ou bien Hetzel à l'Enseignement supérieur tout de même. En effet, de nombreux groupes religieux ultra-conservateurs et issus de l'homophobe Manif pour tous gravitent auprès de LR et du RN. Dans ce cadre, ils ont véritable poids sur les politiques publiques, et cela bien davantage que les Frères musulmans qui n'ont aucune représentation ni au gouvernement ni au Parlement. Si on accuse les "groupes fréristes" de dissimulation obsessionnel, de double discours, cette méthode n'est pas aussi celle du RN, sans cesse respectabilisé et dédiabolisé ?
La chasse de ce rapport tourne parfois au ridicule, quand il argumente que ces groupes "fréristes" pensent que les autres religions sont fausses. Toutefois, les chrétiens, les juifs, les musulmans pensent efficacement évidemment que la religion de l'autre est fausse et que la sienne est la véritable. Cet argumentaire se mêle facilement à l'antisionisme confondu avec l'antisémitisme. Par exemple, des parallèle entre nazis et sionistes sont au fondement d'accusation d'antisémitisme, les mêmes parallèle qu'Anna Arendt, Einstein, Tzizling, Edelman, Zeev Sternell... In fine, l'antisionisme allégué à certains groupes musulmans démontrerait bien leur rejet des autres religions et leur antisémitisme. Il n'est fait aucun rappel que des antisémites soutiennent Israël, le sionisme chrétien se fonde notamment sur la conversion forcée à venir des personnes juives et parfois des théories négationnistes, antisémites (citons les figures de la Nouvelle réforme apostolique). C'est sans compter un puissant discours islamophobe au sein du sionisme chrétien.
Qu'est-ce c'est la "mouvance frériste" ? C'est un peu tout ce qui tombe sous la main de ce rapport. Cela se prête à des formulations hasardeuses : des "associations n'ayant pas toujours conscience de servir les intérêts de la mouvance", on use du conditionnel (aurait, serait...). Il fait de longs développements accusateurs, en avouant à la toute fin de lourdes incertitudes, puis cite des associations ou groupes qui seraient dans la "mouvance frériste" (concept extensible à l'envie). Il aborde leur respect du droit, leur adhésion aux valeurs françaises, aux chartes de la laïcité, mais ils les suspectent perpétuellement de "dissimulation". À quel moment cesse l'accusation de dissimulation, à quel moment ces groupes ont assez prouvés leur acceptation du droit positif ?
Somme toute, ce rapport ne se prête qu'à peu de nuances, tous ceux qui évoquent une lutte contre l'islamophobie, sont susceptibles d'être liés au "mouvement frériste". Participer à une manifestation contre l'islamophobie créé donc des "liens ponctuels", mais il est bien obligé d'avouer que cela ne suffit pas à caractériser un lien entre militantisme intersectionnel (on pense à LFI) et "mouvance frériste". Si bien que le grand point de désaccord insurmontable repéré serait la "question LGBT". Ce rapport ne signale pas que c'est un désaccord avec Retailleau aussi, comme une bonne part de la droite et l'extrême droite, qui sont davantage proches des intégristes islamistes que de LFI sur ce sujet.
Sur quelles sources repose cette invocation inlassable de cette "mouvance frériste" partout, sans jamais se mêler au contradictoire.... "Un universitaire", "certains spécialistes", le rapport ne précise pas toujours ses sources, qu'ils se contentent d'empiler en annexe. En annexe, le rapport ne fait pas semblant et ne se contente pas des universitaires proches du gouvernement. Il cite même un article de l'eurodéputé macroniste Nathalie Loiseau, sans doute la plus publiquement hostile aux musulmans, mettant mal à l'aise son propre groupe et proche de l'extrême droite dans sa jeunesse.
Une rare référence sort de ce rapport avec Kamel Daoud, qui vise l'islamisme en Algérie. C'est un tacle visible face aux liens tendus avec l'Algérie, cible de Retailleau, et c'est tout le problème de ce rapport de réponse à une commande. Le rapport écrit pourtant juste avant au sujet l'influence des Frères musulmans dans ce pays : "leurs capacités d'action apparaissent désormais réduites". Il illustre que les Frères musulmans ont de moins en moins de soutien dans les pays à majorité musulman, comme en Arabie-Saoudite, Egypte (lieu de sa fondation), Jordanie... Dans cette perspective, la droite ne cesse de faire toute une rhétorique sur le rôle du Qatar, son soutien aux Frères musulmans. Ce rapport aussi, mais il finit par exprimer que le Qatar ne s'y intéresse plus tant : "Qatar n'accorde plus de priorité diplomatique au soutien à la confrérie".
Il évoque la perception à certains moments de subventions par des groupes "fréristes" au cœur de l'Union européenne. Il n'essaye jamais de faire des échelles pour mesurer les financements d'autres groupes avec une dimension religieuse à l'échelle européen. Cela met en avant surtout la facilité dont les États européens balayent l'influence de ces organisations, dont la puissance serait si impressionnante. Ce sont des groupes de pression comme tant d'autres au sein de l'Union européenne, parfois écoutés ou parfois non.
Les dernières pages critique sans s'en rendre compte ce que le rapport vient lui-même de faire : "Il faut se garder d'une vision essentialisée de l'islam, déshumanisée et sans visage... L'islam est ce que les musulmans en font en se réfèrant à un corpus ; leurs univers n'a jamais été clos, ni figé". Il ne s'arrête pas là et écrit : "il existe malheureusement une suspicion d'insincerité des acteurs musulmans". On se demande à qui la faute ? Pour ne pas entretenir l'isolement, le rapport regrette l'absence de développement de "l'apprentissage de l'arabe" à l'école. À votre avis, Retailleau va-il prendre en compte ce petit moment de lucidité du rapport, tout comme les grands médias ?
Ce rapport nourrit les obsessions ambiantes. De sorte qu'une responsable macroniste a récemment vu dans la tenue de l'influenceuse féministe Léna Situations de façon grotesque une marque de l'influence islamiste et des Frères musulmans. Il est aisé de contredire une telle allégation, mais déconcertant de devoir le faire désormais.
Antoine Trupiano Remille
Comentários