Le débat public sur l'apologie au terrorisme ne s'embarrasse ni d'une explication rigoureuse du droit, ni de l'Histoire des lois scélérates, même le rappel des débats parlementaires de 2014. De part et d'autre, la priorité paraît être de s'en prendre à tout prix à LFI, au détriment d'un débat de qualité sur un sujet grave.
RAPPEL JURIDIQUE
Il faut commencer par un rappel juridique.
Le régime protecteur des libertés de la loi de 1881 prévoit le délit d'apologie de tous les crimes, dont les actes terroristes, infractions du Code pénal. La loi de 2014 renie ce régime sur l'apologie du terrorisme, le retire de la loi de 81, et l'insére au Code pénal.
Le terrorisme n'est pas un mot creux flottant pour les instrumentalisations. En droit français, l'article 421-1 à 421-8 du Code pénal définit les actes de terrorisme, sanctionnés par le droit pénal. Faire l'apologie de ces crimes est sanctionné par la loi de 1881. Si un extrémiste dit (cela a été vu): "Il faut que ce politique subisse un nouveau Batacl**, meurt". Propos hautement condamnables, ignobles. Cela constitue un délit d'apologie au crime, prévu par la loi de 1881. Cette personne peut déjà être sanctionnée avant la loi de 2014. Ainsi, la loi de 2014 n'apporte pas la création d'un nouveau délit, en effet, l'apologie au crime existe depuis 1881. Elle s'inscrit dans un climat de considération moindre des libertés fondamentales. Elle enlève le régime protecteur de 1881 dans le cas de l'apologie du terrorisme.
En effet, le régime de la loi de 1881 dispose du délit d’apologie de crime. Elle prend aussi en compte les plus graves crimes commis dans notre Histoire. C'est-à-dire les apologies de crime de guerre et de crime contre l’humanité, qui sont encore sanctionnées.
Toute apologie à un crime est condamnable, et la loi de 1881 assurait ce rôle. Il convient de ne pas sacrifier la liberté d'expression sur l'autel du tout sécuritaire. Cette loi de 2014 a eu un "usage dévoyé", afin de citer son inspirateur, le juge antiterroriste Trévidic. De plus en plus de magistrats, dont son inspirateur le juge antiterroriste Marc Trévidic, alertent sur les dérives de cette loi de 2014, ainsi que des références des droits humains (Rapporteur spécial des libertés fondamentales, Commission nationale des droits de l’Homme..). Ces magistrats, ces juristes, ces organisations des droits humains, ces autorités appellent à revenir à l'état antérieur du droit. Que toutes les apologies à un crime soient jugées selon la loi de 1881, dont les actes, crimes terroristes. C'est la proposition de LFI.
Si LFI voulait, comme le disent certains, que l'apologie des actes, crimes terroristes ne soient plus sanctionnés, il faudrait prévoir une modification du régime de 1881 pour exclure ces crimes. LFI ne propose absolument pas cela, jamais. C'est un pur mensonge de certains. In fine, la proposition de LFI "loi visant à abroger le délit d'apologie du terrorisme du code pénal" est une parfaite description juridique. Elle supprime l'apologie au terrorisme du Code pénal, et renvoie comme c'est écrit à la sanction de toutes les apologies par la loi de 1881. Le grand sujet paraît être que toutes les apologies à un crime soient jugées selon le régime protecteur des libertés de la loi de 1881. FI le propose. Le PS, LR, la macronie et RN sont contre cela, et veulent renier la liberté d'expression dans le plus de cas possibles. Toute la classe politique, FI y compris, soutient que les apologies aux actes, crimes terroristes soient sanctionnés. Seulement, FI propose que toutes les apologies soient jugées dans le cadre du régime protecteur des libertés de la loi de 1881. Comme le portaient le PC et EELV.
LES LOIS SCÉLÉRATES DE 1893/1894
Désormais, il est temps de revenir sur cette loi de 1881 et son rapport historique à ce qu'on a appelé les lois scélérates de 1893/94, dont la loi Cazeneuve est un héritage.
L'apologie au terrorisme a émergé au moment des traumatismes du terrorisme en France. Des démagogues se sont nourris de la peur. Hier, Léon Blum, le fondateur de la LDH Francis de Pressensé s'opposaient à ces lois scélérates. La loi de Cazeneuve a trahi leur héritage.
Les lois scélérates ont été rédigées lors de la montée de la stratégie de la propagande par le fait, des actes pour mener à la révolution. On veut y punir la propagande, l'apologie, l'acte même de penser. Ces lois se sont étendues à une grande répression de toute la gauche. Or, la loi du 29 juillet 1881 garantit un équilibre, la liberté d'expression. Les délits d’apologie y sont prévus aux articles 24 et 24bis dans le cadre d'un régime protecteur des libertés. LFI propose d'en reprendre le cadre de référence.
Le ministre Dubost a donc voté des lois profondément contradictoires, contre cette grande loi du 29 juillet 1881 (Cazeneuve a depuis perpétué ses dérives). Le rapporteur de la loi de 1881, Eugène Lisbonne, les parlementaires présents s'étaient refusés à une « chasse à la pensée ». Ils refusaient alors l'inscription si flou d'un délit d'apologie au terrorisme au Code pénal. Nos politiques seraient grands de s'inspirer d'une telle sagesse. Dans cette mesure, le si modéré ancien journaliste du Temps Francis de Pressensé subit tous les anathèmes de la droite pour son opposition aux lois scélérates. À l'image des faussaires de la réflexion de notre temps, ces adversaires le dénoncent comme un allié des terroristes. Il rétorque aux dits modérés contre Dreyfus et favorables aux lois scélérates : « On m’accuse de mener une campagne avec des anarchistes et des révolutionnaires ; c’est un honneur pour moi de mener avec ces militants une lutte pour la justice et pour la vérité » (tel Pouget).
Sur l'opposition aux lois scélérates, il y a LFI, ceux du camp de Blum et de Francis de Pressensé, fondateur de la LDH. Celui qui semble le plus digne, à qui on accole pourtant le blâme d'alliés des terroristes. Il y a les autres, les démagogues, les Dubost et Cazeneuve. Pire encore, il y a les lâches, les peureux. Ceux qui se sont abstenus sur les lois scélérates, qui n'avaient que leur réélection en tête. Ceux qui ont la crainte de nos jours d'être calomniés, comme le furent Blum et de Pressensé, et se rangent du côté de telles lois.
Qu'est-ce que disent les grandes références des droits humains sur ces dispositions que la France insoumise veut abroger ? Cette proposition de loi n° 577 portée par Bernalicis évoque justement ces éléments, et propose de revenir au cadre de la loi de 1881 sur les délits d'apologie. La Rapporteuse spéciale sur la protection des droits de l’H déclare "l’incrimination du délit d’apologie du terrorisme est lourde de conséquences sur le droit à la liberté d’expression... L’assimilation du délit d’apologie à un jugement moral favorable est préoccupante". « La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) considère que la liberté d’expression n’est pas faite seulement pour les idées, informations inoffensives ou accueillies avec ferveur, mais aussi pour les idées et informations qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ». Un des principaux opposants à Poutine s'inquiète. Stoupine alerte dans une lettre sur les accusations d'apologie au terrorisme contre des opposants politiques, tels que Mathilde Panot. Cela lui rappelle des lois, des répressions aux prémices de la dictature de Poutine.
Les attaques répétées contre la Cour pénale internationale rappellent celles de Poutine, sous mandat d'arrêt comme Netenyahu. Des politiques appellent à une rupture avec la Cour pénale internationale, sous prétexte que ces décisions seraient des apologies au terrorisme...
Pour davantage d'informations. Veuillez lire les nombreux auteurs de doctrine qui ont écrit sur la question des lois scélérates, comme Raphaël Kempf et son ouvrage Ennemis d'État.
LES DÉBATS PARLEMENTAIRES DE 2014
Enfin, il convient de récapituler les débats parlementaires de 2014 lors de création de l'apologie au terrorisme.
Le PCF et EELV se sont opposés à la loi de 2014.
Au moment des silences et hypocrisies, il est temps de se replonger au cœur des débats parlementaires de 2014.
La présidente PCF Eliane Assassi dit :
"L’emploi de « apologie » implique une condamnation des opinions et non des actes, alors que le régime protecteur de la loi de 1881 vise à éviter la pénalisation du délit d’opinion".
Comme LFI aujourd'hui, lors des débats de 2014, le PCF et EELV rappellent que la loi de 1881 prévoit les apologies, tout en étant un régime protecteur de la liberté.
Grande alliée de Roussel, la présidence du groupe PCF d'alors au Sénat Assassi critique les dérives de la loi de 2014, notamment le délit d'apologie du terrorisme. Elle est alignée sur un PCF qui dénonce une loi du "tout sécuritaire", d'urgence, sans réflexion ni équilibre. Elle exprime : "l’apologie du terrorisme ne crée-t-elle pas un risque d’atteinte à la liberté d’expression ? Pourra-t-on considérer tous les écrits revendicatifs de contestation sociale radicale – vous voyez où je veux en venir – comme des apologies du terrorisme ?". La sénatrice PCF assume la position d'un PCF qui ne transige pas à cette époque sur les libertés : "le groupe CRC reste fermement opposé, de manière générale, à l’intégration dans le code pénal de ces infractions". C'est-à-dire l'inscription de l'apologie au Code pénal.
Dans un communiqué, le PCF vise à travers la loi de Cazeneuve un "French patriot act", une inspiration des lois sécuritaires de Bush. Il aborde une loi qui restreint "les droits fondamentaux, les libertés publiques" pour "finalement rogner un peu plus sur la démocratie". Le PCF continue sur cette loi antiterroriste de Cazeneuve : "Le projet de loi reprend une logique générale de contournement du juge, pour laisser à la police toute liberté d'agir". Tous les sénateurs PCF sans exception votent contre la loi de Cazeneuve en 2014, établissant un délit d'apologie du terrorisme, en dehors du régime protecteur des libertés de 1881. Roussel s'aligne totalement sur cette position de son parti. Comme les futurs fondateurs de FI.
Le PCF est rejoint par les parlementaires d'EELV.
Cette question ne crée aucun débat dans le parti pour une fois, car il faut protéger la liberté. Les députés, sénateurs EELV s'opposent toutes et tous à la loi de Cazeneuve, à la création de ce délit d'apologie du terrorisme. EELV se positionne de la même manière que le PCF: "les écologistes considèrent donc que le présent projet de loi n'atteint pas le juste équilibre entre les exceptions au droit commun qu'il prévoit et la protection des libertés fondamentales".
Les discours de tant d'élus PCF, EELV en 2014 font apparaître comme très modérés les termes de la proposition de Fl et Bernalicis, visant à abroger le délit d'apologie au terrorisme et se référer à la loi de 1881. Cette proposition correspond à ce que EELV, PCF demandaient.
EELV met alors le PS face à ses hypocrisies: "vous partagiez cette opinion voilà quatre ans à peine, comme en témoignent les débats sur la loi du 14 mars 2011 d'orientation et pour la performance de la sécurité, contre laquelle vous aviez voté contre, avec l'ensemble du PS". En 2014, de nombreuses dispositions de la loi de Cazeneuve reprennent mot pour mot les projets de Sarkozy, Monsieur "Karcher". Or, sous Sarkozy, le PS les qualifiait de "liberticide" (notamment Valls), invoquait l'héritage des libertés de Léon Blum, celui que Fl perpétue.
Nos camarades à EELV et au PCF ne nous feront pas ce qu'il dénonçait du PS, un reniement de leurs propres positions au détriment des libertés élémentaires. Vous avez tenu bon au moment de cette loi démagogue, héritière des lois scélérates. Vous ne renoncez pas maintenant ?
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