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Jeanne d'Arc, icône décoloniale, féministe et queer

Photo du rédacteur: contrediremediacontrediremedia

Jeanne d'Arc est une icône décoloniale, queer et féministe. Son existence même était une offense à la société des hommes, des puissants. Ces pourfendeurs et autres lâches ont attendu de la regarder brûler vive avant de rentabiliser son image, choisissant les moments de son existence et son oubli selon leurs intérêts.


Jeanne d'Arc a éclairé mon enfance. Je n'étais pas le plus religieux qui soit, certes éveillé à la foi par mon seul choix, or bien davantage j'étais fort intéressé par cette femme des classes populaires qui ne s'était pas laissé brimer par leur monde. À quelques éléments près, les règles funestes de ce monde d'hommes n'ont guère changé.


Jeanne d'Arc a tué des anglais, mais sans haine à leur égard, avec regrets et tristesse. Ces remords ne peuvent pas empêcher la force libératrice d'un peuple de se faire. Elle aurait tant aimé de ne pas verser le moindre sang. Toutes les personnes colonisées, damnées de la terre n'ont jamais eu la fenêtre d'une liberté sans combat. Le sang rythme les exigences de libération, des militants du FLN, à l'ONC et au PC sud-africain, aux premier militants Palestiniens de l'OLP. Les oppresseurs, colons ont déjà établi les règles, la conduite de l'occupation ne laisse que peu de marge de manœuvre aux conditions de la libération.


L'esprit de la Reine nigérienne Sarraounia Mongou n'a pas suffit aux Français pour baisser leurs armes, cesser la terrible mission Voulet-Chanoine, comprendre l'erreur de leurs règles, afin d'épouser sa philosophie de tolérance et de liberté. Sarraounia n'aspirait pas à ce que coule la moindre once de mort sur ces terres, mais elle n'allait pas se livrer sans défendre son peuple.


De Jeanne d'Arc à Sarraounia ? Une femme pour délivrer un peuple colonisé ? Quel exégète du patriarcat bardé de diplôme et de reconnaissance sociale avait intérêt à permettre son existence ? Qui plus est, c'était une femme des classes populaires qui revendiquait une place. Cela remet en cause la hiérarchie des genre et des classes sociales, l'ordre.


Un Dieu qui fait de Jeanne d'Arc son envoyé, ne constituait pas leur Dieu à eux. Dieu devait être l'outil de la fortification des privilèges, de la haine de l'ennemi du moment et de la justification des pires actes en temps de guerre. Le Dieu de Jeanne d'Arc ne visait pas cela, il voulait la libération d'un peuple d'une colonisation injuste.


Dieu est le mot derrière lequel on invoque la supériorité à l'humain, afin de donner corps à la grandeur immanente de ses prétentions.

Cela pourrait être les voix de la justice, de l'égalité, de l'amour, de la démocratie, de la liberté, de la souveraineté des peuples.


Jeanne d'Arc ne fut pas l'héroïne des hommes. Personne ne vint à son aide confrontée au bûché. Elle n'a pas été tant jugé pour avoir dit entendre le divin, que d'être qui elle était et d'oser être la parole de Dieu.


Elle est l'héroïne des femmes, même des femmes qui subvertissent les normes de genre, qui portent habit d'hommes, de Christine de Pisan qui prenait la plume au XVe siècle à Régine Pernoud au XXe siècle qui a investi le monde universitaire. Toutes deux ont bravé les privilèges des hommes, ont donné vie au récit de Jeanne d'Arc. La journaliste féministe Hubertine Auclert (né au XIXe siècle) exprime : "Jeanne d'Arc fut la personnification du féminisme, elle ne tint compte ni des usages, ni de l'autorité des puissants, et elle usa, malgré les hommes, des droits des hommes pour sauver le pays".


Elle n'a pas agi au nom de l'Eglise, du clergé, même du gouvernement du roi méfiant à son encontre, elle a agi au nom de ce qui était juste, le faisant synonyme de divin. La figure messianique Flora Tristan, femme maltraitée ayant fui son époux, a porté le combat pour l'émancipation ouvrière au XIXe siècle, et cela peu importe les normes assignant les uns et les autres.


La rebelle était davantage une "sarrasin" de son vivant pour le haut clergé de son époque, on dirait aujourd'hui une islamiste. Elle incarnait l'étrangère à leur monde venue bouleverser leurs codes sociaux, qui ne répond ni à l'offre ni à la demande des puissants, telle Flora Tristan. Il fallait l'utiliser un instant selon ses intérêts puis la regarder brûler.


Jeanne d'Arc n'avait guère besoin d'aller chercher le moindre bouc-émissaire à tous les maux. Les antisémites, les islamophobes étaient ses adversaires, ceux qu'ils la traitaient de "sarrasin" pour instaurer leur mécanique de violence.


Face aux questions des sachants habilités à la juger, des français aux anglais, Jeanne d'Arc ne cédera que peu à leur volonté, à leur vision intéressée de Dieu. Il lui fallait servir un peuple opprimé, être l'urgence, elle leur laissait le soin de fonder leur exégèse.


La combattante rejette leur guerre qui accable les pauvres de part et d'autres, qui pillent et violent. Elle l'interdit à ses hommes. Elle ne souhaite pas être un homme dans la définition de violence sociale que cela recouvre, d'écrasement des faibles pour acquérir le pouvoir, elle prohibe à ses soldats de s'y conformer.


Toutes les femmes de l'Histoire n'ont pas tenter de poser une alternative au monde des hommes. L'antiraciste Bell hooks exprime : "Pour ces femmes, la libération féministe consistait davantage à leur permettre d’obtenir leur part du gâteau à la table du pouvoir qu’à libérer massivement les femmes et les hommes moins puissants de l’oppression sexiste. Elles n’en voulaient pas aux puissants, c’est-à-dire leurs papas et leurs maris, d’exploiter et d’opprimer des hommes pauvres ; elles étaient furieuses de ne pas bénéficier d’un accès égal au pouvoir".

La militante décrit ce processus d'appropriation des privilèges des hommes :

"Aujourd’hui, beaucoup de ces femmes ont obtenu gain de cause, et surtout la parité économique avec les hommes de leur classe. Par conséquent, elles ont presque perdu tout intérêt pour le féminisme" (La volonté de changer (les hommes, la masculinité et l’amour), 2004). Elle se fait d'autant plus précise : "Dans la culture patriarcale, les femmes se montrent tout aussi violentes que les hommes envers les personnes qui sont sous leur pouvoir et qu'elles peuvent dominer librement".


La libératrice d'Orléans n'a pas voulu être à la table des décideurs, des chefs militaires, afin de faire sienne leur exercice du pouvoir, de piller les pauvres et de s'en prendre aux femmes, aux enfants. Elle n'était pas non plus la courtisane de leurs égos démesurés, à vanter leur intelligence à chaque instant.


Quel sort demeurait-il donc à accorder à Jeanne d'Arc, si ce n'est pas la mise au placard par le roi de France suivie d'être brûlée vive par les anglais ? Elle illustrait une anomalie sociale et troublante, une queer à éradiquer au plus vite.


Une Jeanne d'Arc morte pouvait être rentabilisée, dès la fin du XVe siècle au service de la couronne française l'ayant lâchement abandonné. Puis plus tard par l'Église qui n'a jamais cru en elle, et enfin une extrême droite construite sur le rejet de tout ce qu'elle est.


Telle une marionnette qu'elle n'a jamais été, les hommes la ressortiront à leur convenance.

Par exemple, difficile de fonder la vertu civilisatrice de l'homme blanc et ses délires coloniaux en évoquant Jeanne d'Arc, comme le roi de France Charles VII, d'autres hommes l'ont encore mis encore placard pendant des siècles. Elle sera tantôt une manipulée ou bien l'idiote du roi. Les femmes et les révolutionnaires se chargeront de parler d'elle, de son combat décolonial contre leur monde d'hommes.


L'icône viriliste et colonisatrice des fascistes s'était César, l'Empire romain dans toute sa domination. Des Bainville et autres funestes de l'Action française au cercle proche de Pétain, ancêtres et fondateurs du FN/RN... Si loin de Sainte Catherine et Sainte Marguerite apparues face à Jeanne d'Arc... Il ne leur paraît pas contradictoire d'utiliser la "sarrasin" pour s'en prendre aux personnes juives et désormais aux musulmanes.


Jeanne d'Arc ne se hisse pas au rang de la perfection, il est évident que des défauts doivent côtoyer son image illustre, des préjugés de son époque. Précédemment, j'ai cité telle une grande référence Hubertine Auclert, et elle l'est, mais la même n'a pas nié un inconscient colonial dans sa perception des luttes des femmes colonisées. Il n'est pas aisé d'échapper aux problématiques de son temps, de son milieu social au fondement de son habitus, sa construction sociale.


Certes, Jeanne n'appartient à personne. Or, trêve de manipulations, elle ne représente certainement pas leur monde, elle est une "force qui va" qu'aucun homme n'a pu arrêter autrement qu'en lui ôtant ses derniers souffles.

 
 
 

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