Ce procès revient inlassablement sur la compétence des femmes de gauche à exercer tel ou tel poste.
En effet, la droite ressent moins de liberté à contester la compétence même des femmes.
Il faut savoir que la droite remettait en doute la compétence de la Prix Nobel de Chimie Irène Joliot-Curie, alors nommée Sous-secrétaire d'État à la Recherche scientifique pendant le Front populaire de 36. Elle parlait de féminisme et d'investissement public au détriment du privé, c'était un véritable cauchemar pour eux. C'était la même année que le refus du président du Sénat Jules Jeanneney de faire adopter le droit de vote des femmes. Devenu Ministre d'État sous son ami De Gaulle en 1944, ce dernier était un des derniers remparts à l'obtention de ce droit. Il faisait en cela face à la proposition déposée dès 1944 par le député communiste Fernand Grenier, appuyée par les troupes de la cheffe de la résistance, future députée constituante communiste Marie Couette. Simone Veil eut bien l'occasion d'affronter le même procès de ses alliés, au moment où la gauche parlementaire a permis l'adoption de sa loi relative au droit à l'IVG.
Les décennies ont passé, heureusement que la révolution féministe a laissé quelques traces, il apparaît problématique d'évoquer l'incompétence biologique des femmes à la politique. Même la droite a dû s'y résoudre. Cela n'empêche pas le sexisme de se déchaîner dans toute la sphère politique de façon plus discrète. Néanmoins, la droite s'autorise encore ce luxe de frapper plus durement les femmes de gauche, puisqu'elles sont de gauche, forcément leur incompétence paraît inhérente à leurs idées. Toutefois, guère loin dans leur esprit, ce sont surtout des femmes qu'ils blâment, alors pourquoi ne pas y ajouter des quolibets sexistes comme "poissonnière", "mal baisée", "grosse", "moche". S'il vient poindre la moindre critique à ces mots, la droite envoie une femme de son camp politique expliquer que cela n'a rien à voir avec le sexisme, ou bien rappelle que des femmes ont des responsabilités chez eux, donc aucun rapport, hors sujet complet.
On ne compte plus le nombre de femmes politiques de gauche qui ont eu à subir ces attaques. Le port d'une robe ou d'un jean peut même parfois être un alibi commode des ignares pour juger de leur compétence ? Ou bien d'avoir une voix trop "hystérique" ? Ils n'auront pas lu au préalable une once du travail parlementaire de ces personnalités, autant aller au bout de son ignorance après tout.
Qui s'intéresse à tout ce que Mathilde Panot a écrit, à sa présidence essentielle pour le rapport sur le droit à l'IVG, menant récemment à sa constitutionnalisation. Sans intérêt. Si on parlait plutôt du rapport entre son physique et les normes de beauté en vigueur ?
S'il s'ajoute d'autres oppressions, c'est sans fin. Ainsi, le travail de Danièle Obono n'existe par exemple pas, sauf pour lui coller tous les maux de la terre, selon l'ennemi du moment de l'actualité. On préfère glorifier le travail d'un homme libéral, bourgeois et blanc comme Glucksmann, qu'accorder une ligne à la mobilisation d'Obono dès 2018 pour la cause des Ouïghours. Tout comme Rachele Kéké, femme racisée de classe populaire, personne ne lira un paragraphe de son boulot en tant que députée, elle est assignée à une incompétence présumée.
Le dernier défouloir en date de la droite est Aurélie Trouvé.
Elle est surdiplômée, a dirigé des programmes nationaux, a enseigné l'économie, sa compétence ne fait pas le moindre doute pour présider la Commission des Affaires économiques. L'élue est docteure en sciences économiques et ingénieure du Génie rural, des eaux et des forêts, de loin la plus diplômée des candidatures à la Commission des Affaires économiques. Certes, elle était la seule femme à se présenter, car ce n'est pas forcément la priorité de nommer des femmes à des postes pour le gouvernement Barnier. L'insoumise a été ingénieur-chercheur au Cemagref de Grenoble, maître de conférences à AgroSupDijon au département sciences humaines et sociales, puis maître de conférences à AgroParisTech au département sciences économiques, sociales et de gestion. L'expertise d'Aurélie Trouvé a été souvent sollicitée par des acteurs publics et privés, fréquemment très éloignés de la gauche. De la Commission européenne à la MAAF aux organisations professionnelles agricoles aux associations environnementales aux collectivités.
Elle paraît indéniablement compétente.
Pourtant, elle est particulièrement visée en tant que femme de gauche. Drôle d'idée de la démocratie, donc seul un homme de droite aurait pu être compétent ? Ce procès en compétence interroge quand-même sur la possibilité d'accès à de tels postes de personnalités issues des milieux populaires, et qui ne sont pas bardées de diplômes. Cela rappelle bien celui incessant fait contre l'ancienne députée Rachel Kéké, une femme de ménage n'était même pas compétente pour siéger à l'Assemblée pour la droite.
Trouvé aurait pu être une docteure saluée à l'expertise précieuse, ainsi qu'une maîtresse de conférence dans des institutions importantes. Il ne serait jamais venu à personne la volonté de remettre en cause sa compétence, or elle a osé s'engager à gauche, c'est ce que lui reproche au fond une part de faux démocrates. Elle est effectivement devenue coprésidente d'Attac France de 2006 à 2012, puis porte-parole de l'organisation de 2016 à 2021, puis a écrit un ouvrage édifiant en 2015 : "Le business est dans le pré. Les dérives de l'agro-industrie'.
D'éminents scientifiques ont eu des convictions de gauche, parfois bien plus radicales que celles d'Aurélie Trouvé. Si Irène Joliot-Curie était incompétente d'avance, alors Aurélie Trouvé n'avait que peu de chances de ne pas subir le même procès.
Dans toute son arrogance, la droite se croit le camp de la raison, de l'intelligence, et il lui paraît invraisemblable que des grands scientifiques puissent être à l'inverse de la sphère politique. Trouvé serait une idiote, simplement pour ses idées qui ne correspondent pas à celles des néolibéraux.
Reconnaître une compétence à une femme, en plus de gauche, réveille tous les pires démons de la droite, déjà en proie à l'influence des fascistes. Cela tend vers un mélange disgracieux de sexisme, agrémenté de vision totalitaire qui considère sa propre vision comme vérité absolue.
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